Alessandra Miglio

En raison des mutations sociologiques, démographiques, spatiales et réglementaires traversant les territoires agricoles français, les dernières décennies ont vu l’émergence de nouveaux enjeux et besoins autour du logement pour les agriculteurs. La question de l’habitat agricole dévient déterminante dans le contexte actuel d’artificialisation croissante des sols, de départ à la retraite massif des agriculteurs et de demande sociétale pour une transition agro-alimentaire, car elle met en tension deux objectifs majeurs de l’urbanisme contemporain : la re-territorialisation de nos systèmes agro-alimentaires et la sobriété foncière. De fait, si d’une part le renouvellement des générations agricoles (et donc la relocalisation des filières agro-alimentaires) nécessite le dépassement des difficultés d’accès au logement des agriculteurs, d’autre part les réponses qui y sont apportées actuellement favorisent le mitage (artificialisation éparse) des terres agricoles, allant à l’encontre des objectifs non-artificialisation des sols.
C’est à partir de cette constatation que ce travail doctoral, situé dans les champ de recherche de l’architecture et de l’agriurbanisme, enquêtera sur la question de l’habitat paysan en tant que frein et levier à la fois pour l’installation et la transmission des activités agricoles et pour une gestion sobre du bâti dans les territoires péri-urbains et ruraux. Le premier objectif de ce travail est d’affiner la compréhension des nouveaux enjeux du logement agricole. Pour ce faire, il resituera la question de l’habitat paysan dans une perspective historique, il étudiera la façon dont elle est reconfigurée par les transformations sociologiques en cours dans le monde agricole, et explorera son articulation avec les enjeux actuels de justice alimentaire, sociale et environnementale. Le deuxième objectif est de contribuer à l’émergence de stratégies (architecturales, urbanistiques, sociales ou organisationnelles) permettant de répondre aux nouveaux enjeux du logement agricole de manière pertinente et opérationnelle. Ainsi, une enquête sera menée sur une sélection d’initiatives en cours en France à l’échelle locale: cela impliquera le recensement et l’étude comparative d’une quinzaine de dispositifs expérimentaux de logement agricole ainsi que l’évaluation de la portée de chaque cas d’étude à l’égard des enjeux de transition écologique, économique et sociale.
Cet objet d’étude complexe demande l’adoption d’une posture multi-scalaire et interdisciplinaire combinant différents approches méthodologiques. Seront mobilisées donc l’étude bibliographique (littérature scientifique et "grise"), l’enquête socio-anthropologique à l’échelle des fermes, l’enquête micro-territoriale (cartographie et modélisation prospective à l’échelle d’une commune), l’analyse de cas d’études, ainsi que la recherche-action (suivi et participation active aux projets expérimentaux en cours).
En définitive, cette thèse porte l’ambition de sensibiliser les pouvoirs publics et les acteurs de terrain à la problématique de l’habitat paysan et de les outiller pour favoriser l’essaimage de stratégies de logement agricole à la hauteur des enjeux contemporains.