Siméon Gonnet

La démolition a de tout temps été considérée comme le revers discret des activités de l'architecture. Elle ne construit rien, n'invente rien, se contente d'offrir aux édifices le spectacle d'une fin rocambolesque et la promesse d'une renaissance en leurs lieux et places. Mais aussi confidentielle que fût son histoire, cette activité est aujourd'hui en crise. Rien ne justifie plus, dans notre présent sensible au thème des effondrements, la poursuite de cette industrie des décombres ; du gaspillage prodigieux que nous coûte chacune de ses tâches. Il faut démolir la démolition, réformer l'instrument du reset, condamner le slogan d'une terre vierge que nous promettait pourtant ce solvant de nos édifices tenaces. Désormais on déconstruit, on recycle, on réemploie. Pour contribuer à une stagnation heureuse de notre habitat terrestre, plus rien ne doit périr dans le ballet des grues et le concert des pioches. Pourtant, jamais l'obsolescence de nos existants ne s'est faite si palpable que dans le cocktail des catastrophes et pollutions qui enserrent notre actualité. Jamais le besoin de tout reconstruire n'a semblé si pressant que dans les conditions sanitaires et sociales que nous annoncent pandémies, guerres et dérèglement climatique. Jamais enfin, notre héritage n'a semblé si lourd que dans les ruines en germe du siècle de la modernité. Il n'est pas facile d'imaginer un monde qui ne serait plus guidé à l'avenir que par cette volonté de faire mieux, de systématiser la « valeur ajoutée » comme condition du « construire ». Ce travail de recherche soulèvera l'hypothèse que nous n'en avons pas fini avec la démolition. Non que l'avenir se résume à un champ de ruines, il s'agira plutôt de comprendre comment la démolition opère une certaine médiation des édifices sur les incertitudes qui touchent au devenir des territoires contemporains. De réaliser aussi comment l'histoire récente de l'architecture a contribué à obscurcir les valeurs d'un savoir-défaire millénaire, irréductible à quelques saccages de la poudre. L'Histoire, nous le verrons, a besoin de la démolition, et c'est à ce titre qu'aujourd'hui, la démolition a besoin d'une histoire.