Marnes, documents d'architecture, vol. 1
Éditorial : Sébastien Marot
Matériaux
Sa vocation première est de rendre disponibles et de présenter, en les traduisant au besoin, des documents, textes, projets ou essais qui nous paraissent constituer d'utiles références ou de stimulantes contributions à la réflexion sur l'architecture et sa pédagogie aujourd'hui. Nos lecteurs trouveront ainsi dans ce numéro plusieurs textes qui ont joué un rôle important dans les débats anglo-saxons des dernières décennies, et qui n'étaient jusqu'à présent pas accessibles en français.
C'est le cas par exemple des articles de Nikolaus Pevsner et de Reyner Banham que Jean Taricat a traduits et présentés ici pour documenter la curieuse querelle qui anima la scène anglaise des années 1960 autour d'une possible tradition pittoresque de l'architecture moderne. L'idée qu'on ait pu vouloir rattacher le mouvement moderne à cette tradition paraîtra sans doute étrange aux lecteurs français, plutôt habitués à tenir celui-ci pour un surgeon explicite du rationalisme cartésien. Et pourtant, on ne peut pas nier que le déplacement opéré par cette généalogie alternative a été fertile tant sur le plan théorique que pratique. On lui doit en effet la notion critique de brutalisme, forgée par Banham en 1960, mais aussi une bonne part de la philosophie du « as found » qu'Alison et Peter Smithson développèrent plus tard et qui inspire toujours, en sous-main, un segment significatif de la production contemporaine. Il nous a donc paru utile de verser ces pièces au débat francophone, pour compléter son instruction, et pour montrer que l'actualité, le développement et la poursuite d'une idée dépendent largement de notre capacité à en proposer de nouvelles histoires... ou de nouvelles géographies.
Cette même ambition d'équiper nos lecteurs de références théoriques influentes et intelligibles nous a également conduits à présenter ici deux textes qui balisent la philosophie du « projet urbain » telle qu'elle a émergé au cours des années 1970 et 1980. Le premier est une conférence que Colin Rowe donna à de nombreuses reprises pour accompagner la parution de son livre Collage City, écrit avec Fred Koetter et publié en 1978. « Le dilemme de l'urbanisme aujourd'hui » a le double intérêt de constituer une sorte de résumé des thèses centrales de ce livre important (pour ceux qui ne l'auraient pas lu), et d'être illustré par d'autres exemples et références (pour ceux qui voudraient prolonger leur lecture). Il constitue ainsi une excellente introduction à l'œuvre ambivalente de ce théoricien de l'urban design et du contextualisme, en qui Banham voyait « l'authentique fondateur de la pensée post-moderne » en architecture, et dont nous avons cru bon de retracer ici la trajectoire critique. L'autre texte, de dix ans postérieur, est signé par un architecte barcelonais qui a été l'un des champions de cette philosophie appliquée. Dans « La seconde histoire du projet urbain », présentée ici par Éric Alonzo, Manuel de Solà Morales proposait, là encore, une généalogie alternative de cette approche urbaine, soucieuse de lui trouver des ancrages dans l'histoire même du mouvement moderne, plus complexe que les fables qu'on en a colportées. Les résonances et dissonances de ces deux textes devraient, nous l'espérons, aider à mieux cerner la nature et les limites théoriques de ce concept de « projet urbain » qui hante toujours le débat aujourd'hui.
De la même façon, on trouvera dans ce numéro les traductions de deux textes publiés à seize ans de distance par l'architecte américain Peter Eisenman, tous deux consacrés à l'incidence des technologies électroniques et numériques dans le champ de l'architecture. Au-delà de leur intérêt respectif, c'est surtout le singulier changement de ton dont ces deux textes témoignent qui nous paraît de nature à stimuler une réflexion sur ce sujet capital. Qu'un même architecte, dont l'agence passe pour avoir été l'un des laboratoires de la mobilisation des nouvelles technologies en architecture, puisse ensuite porter un regard aussi critique sur leurs effets ne peut que nous inciter à clarifier les différents champs d'application de l'outil informatique dans nos disciplines. C'est à ce chantier que se livre ici Jean-Aimé Shu, jeune ingénieur et architecte récemment diplômé de l'École d'architecture de la ville et des territoires, dans une mise au point issue de son mémoire de master.
Essais
Au-delà de sa vocation à diffuser d'utiles références théoriques, cette publication entend fonctionner en effet comme une courroie de transmission entre les études, l'enseignement et la recherche, et croiser des travaux émanant d'étudiants aussi bien que de chercheurs et d'enseignants. Nous avons ainsi placé côte à côte dans ce numéro deux textes fort différents - puisqu'ils proviennent l'un d'une recherche doctorale et l'autre d'un diplôme soutenu dans l'école -, mais qui abordent chacun à leur façon le thème de la mégastructure ou de l'hyperbâtiment, l'un en lui trouvant une généalogie inédite et l'autre en lui inventant une nouvelle actualité. Tandis qu'Anne Portnoï rattache les « bâtiments- infrastructures » anglais des années 1950-1960 à la tradition et à la typologie des Terraces du XVIIIe siècle, Charles-Antoine Perreault expose les prémisses théoriques d'un projet visant à métamorphoser en « artefact urbain » un ensemble sur dalle construit à Bruxelles dans les années 1970 en lieu et place d'un monumental escalier public.
Plus loin, nos lecteurs trouveront, également rapprochées a posteriori par la dimension paysagère de leurs sujets, les versions françaises de deux essais récemment publiés en anglais par des enseignants de l'école ou du campus. Antoine Picon, professeur d'histoire et de théorie à l'École des Ponts ParisTech et à la Graduate School of Design de l'université de Harvard, évoque dans son texte, « De la ruine à la rouille », les particularités inédites du paysage technologique ou de la ville-territoire, et les défis esthétiques nouveaux que ce seamless web d'artefacts adresse à la perception. De son côté, l'essai de Sébastien Marot, « Sub-urbanisme / sur-urbanisme », directement lié au thème d'un séminaire donné dans l'école, s'emploie à comparer et distinguer sur pièces, « de Central Park à La Villette », deux approches contemporaines, deux poétiques de projet qu'il présente comme des alternatives aux routines de l'urbanisme de composition ou de convention.
Didactique
Le numéro se clôt enfin par une contribution qui témoigne de notre ambition de rendre compte et d'expliciter le plus clairement possible les principes et les enjeux des enseignements, exercices ou studios qui sont aujourd'hui proposés dans les différents champs de la pédagogie de l'architecture. Dans le texte qu'il a tiré de ses entretiens avec les enseignants qui en ont été les instigateurs, « Être une colonne », Luc Baboulet expose ainsi les attendus, le déroulé, l'intérêt et les perspectives d'un exercice de première année - sur « l'économie de moyens » - qui est devenu au fil des ans un événement majeur de la vie de l'école, et qui lui permet de rafraîchir avantageusement la vieille théorie esthétique de l'empathie (Einfühlung).
Toutes ces contributions visent à nourrir et à stimuler la didactique de l'architecture en rendant publics, au bénéfice de la communauté des étudiants, chercheurs et enseignants, les références, les concepts et les outils que les uns et les autres mobilisent dans leurs cours, leurs travaux et leurs projets. En capitalisant et en diffusant peu à peu ces ingrédients, la publication que nous inaugurons, pilotée à partir de l'Observatoire de la condition suburbaine, entend devenir un vecteur et une dimension à part entière de la pédagogie de l'école.
Comme telle, elle est cependant ouverte, toutes portes battantes, à l'ensemble de ceux qui se soucient d'améliorer l'instruction des débats sur l'architecture contemporaine et son enseignement. Et c'est très vivement que nous les invitons à nous adresser leurs propositions de traductions, d'articles ou de sujets.
Marnes
Le titre que nous avons choisi de donner à cette publication périodique, marnes, documents d'architecture, connote à la fois son lieu de production et son objet. Marne est en effet l'un des diminutifs les plus couramment utilisés pour désigner notre école située sur le campus de la Cité Descartes à Marne-la-Vallée. Mais en le conjuguant au pluriel, on fait surtout ressortir son sens « commun » qui désigne ces mélanges naturels de calcaire et d'argile propres à amender, à engraisser et à enrichir les terres arables. Si le verbe « marner » signifie « bosser dur » dans le parler d'aujourd'hui, c'est qu'il renvoie au « marnage », l'opération de longue haleine qui consiste à répandre des marnes dans les champs pour améliorer leur fertilité à long terme. Dans l'ère des grandes préoccupations environnementales qui est la nôtre, où c'est le fonds qui manque le plus, les territoires de l'architecture ont à l'évidence besoin d'être substantiellement marnés.
Le format de poche de cette publication, conçue par les graphistes Benoît Santiard et Guillaume Grall, tous deux engagés dans le projet pédagogique et éditorial de l'école, est précisément pensé pour faciliter le transport et l'épandage de cette « manne ».
Sommaire | ||
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A | Du pittoresque moderne au nouveau brutalisme | Jean Taricat |
Pittoresque XXe siècle (1954), Une réponse à l'émission de Basil Taylor | Nikolaus Pevsner | |
Le pittoresque du XXe siècle (1954) | Alan Colquhoun | |
Le nouveau brutalisme (1955) | Reyner Banham | |
La revanche du pittoresque (1968), Polémiques architecturales anglaises 1945-1965 | Reyner Banham | |
B | Terrace revival, Le bâtiment-infrastructure en Grande-Bretagne 1955-1975 | Anne Portnoï |
De la dalle à l’hyperbâtiment, Métamorphose de la cité administrative de l’État à Bruxelles | Charles-Antoine Perreault | |
C | De la mathématique de l’architecture moderne à la jurisprudence de la ville classique, La trajectoire critique de Colin Rowe | Sébastien Marot |
Le dilemme de l’urbanisme aujourd’hui (1979) | Colin Rowe | |
D | Revisiter la modernité, Une doctrine pour le projet urbain | Éric Alonzo |
Une seconde histoire du projet urbain (1987) | Manuel De Solà Morales | |
E | De la ruine à la rouille, Les paysages de l’angoisse | Antoine Picon |
Sub-urbanisme / sur-urbanisme, De Central Park à La Villette | Sébastien Marot | |
F | Architecture et outil informatique : le débat | Jean-Aimé Shu |
Déplier la vision (1992), L’architecture à l’ère des médias électroniques | Peter Eisenman | |
Discours devant la Royal Incorporation of Architects in Scotland (2008) | Peter Eisenman | |
G | Être une colonne, L’exercice de l’économie de moyens | Luc Baboulet |
Informations
Broché : 448 pages
Éditeur : La Villette
Langue : Français
ISBN-13: 978-2915456639
Dimensions : 13 x 21 cm
Direction éditoriale
Sébastien Marot
Éric Alonzo
Secrétaire de rédaction
Paul Bouet
Comité de rédaction
Éric Alonzo
Luc Baboulet
Paul Bouet
Stéphane Füzesséry
Laurent Koetz
Paul Landauer
Loïse Lenne
Sébastien Marot
Antoine Picon
Jean Taricat
Design graphique
Building Paris
En vente à l'École (agence comptable) et en librairie au prix public de 20 €.
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