Réseau Espace Rural Projet Spatial
Catalyser des mondes : vers un approfondissement des territoires de l’agriculture
vendredi 18 novembre 2022à 09:00
Journée d'échange
Réseau ERPS
Coordonnée par Mathieu Delorme, Sébastien Marot, Frédérique Mocquet
Cette journée, organisée dans le cadre du réseau Espace Rural Projet Spatial et de l’OCS AUSser en vue de la préparation des rencontres 2024, a fait l’objet d’un podcast, disponible sur cette page.
Les analyses les plus sérieuses de la situation environnementale contemporaine, et des défis considérables qu’elle adresse aux générations présentes, convergent largement sur le constat qu’une révolution théorique et pratique est nécessaire dans tous les domaines, depuis les techniques d’acquisition et de transformation des ressources jusqu’à leurs modes d’échange et de consommation.
Cette révolution (au plein sens d’un retour et d’un retournement) appelle clairement une recomposition, un retissage, un étoffement, voire un approfondissement des paysages et des milieux. Elle fait même de cet approfondissement, et de la reconnaissance des métabolismes qui unissent l’ensemble des composantes humaines et non humaines des territoires, la cause, le véritable sens de la vie et de la survie collective des sociétés aujourd’hui. Au cœur de cette question se trouvent les activités que l’on désigne aujourd’hui génériquement sous le nom d’agriculture, c’est-à-dire les arts et techniques d’acquisition des ressources vivantes, qui sont les matrices et les bases de la « culture ».
Depuis 60 ans[^La Politique Agricole Commune européenne (PAC) fêtera ses 60 ans le 30 juillet 2022.], les politiques et systèmes agricoles, aux échelles européenne, nationale et locale, sont de plus en plus déconnectés de leurs territoires. Notre alimentation, déterritorialisée, n’est plus vectrice d’une manière d’habiter les espaces et les lieux. En France, le projet de modernisation des Trente Glorieuses, en même temps qu’il façonnait une industrie et des structures urbaines et métropolitaines inédites, a modifié en profondeur les pratiques et les espaces agricoles traditionnels, notamment à l’aune des standards productivistes de l’industrie.
Avec leurs grandes surfaces culturales céréalières, les paysages agricoles de l’Île-de-France par exemple sont aujourd’hui bien souvent les paysages uniformisés d’une économie mondialisée. Comment penser l’enjeu de la reconnexion entre espaces productifs, lieux de vie et de consommation, et donc l’enjeu de la réappropriation de territoires, des structures et des savoir-faire agricoles ?
Comme l’écrivait Wes Jackson, fondateur du Land Institute, il y a déjà près de trente ans : « Si la quête de soutenabilité ne commence pas par l’agriculture, alors elle n’arrivera à rien, pour cette raison simple que seule l’agriculture a, au bout du compte, une discipline derrière elle, à savoir celle de l’écologie ou biologie évolutive.
Les écosystèmes de la nature sont anciens. Ils sont des économies réelles. La loi du retour décrite par Sir Albert Howard y est opératoire. On peut donc s’y fier. »[^Wes Jackson, Becoming Native to This Place, 1994. Et il ajoute : “Le secteur des matériaux, le secteur industriel, est récent. Il n’a derrière lui aucune discipline ancestrale à laquelle se fier. Les gratte-ciels, les autoroutes et les banlieues ont été rendus possibles par la découverte et la mobilisation du carbone fossile. Ils ne reposent sur aucune science organique (organising concept). Les sols et les forêts nous ont nourri et abrité, mais eux aussi déclinent, en dépit même du bonus que nous tirons des ressources fossiles”.]
L’objectif que nous proposons de donner aux rencontres du réseau ERPS que nous organiserons au Printemps 2024 est le suivant : examiner, notamment à partir d’exemples et d’études de cas, comment des pratiques agricoles renouvelées peuvent amorcer, concevoir, entretenir et réparer des milieux et des paysages productifs qui soient aussi des cadres de vie collective épanouissants et résilients, c’est-à-dire des communes ou des mondes. Nous nous intéresserons ainsi particulièrement aux initiatives qui développent des analyses, des pratiques et des techniques relevant non seulement d’une démarche de mutation des systèmes agricoles, mais aussi d’un désir plus profond de transformation de nos sociétés.
Nous proposons pour cela d’explorer l’hypothèse d’un « ruralisme » : une discipline, ou collection d’arts et de savoirs pratiques, appliquée au but de rendre les territoires ruraux (mais aussi urbains et suburbains) plus autonomes, plus variés, plus foisonnants de vie humaine et non-humaine, et par conséquent plus habitables.
Le raisonnement est le suivant : si l’urbanisation et l’urbanisme furent les produits (et presque la religion) de l’ère industrielle, gavée aux énergies fossiles et à la logique de concentration induite par ces dernières, alors la tâche la plus urgente aujourd’hui pourrait bien être de récupérer et réunir les ingrédients d’un ruralisme susceptible d’accompagner, de guider, d’organiser et d’enchanter l’exode urbain et la relocalisation qui ne devraient pas manquer de se produire dans les décennies qui viennent.
Cette évolution (ou revirement) probable aura nécessairement des conséquences importantes sur les pratiques et le statut des professions de l’architecture, du paysage et du design en général, dont la nature et les spécialisations pourraient être fortement remises en question. Aussi doit-elle être sérieusement appréhendée dans les établissements d’enseignement censés préparer les étudiants à affronter un futur d’impasse environnementale et de descente énergétique. L’ambition de nos rencontres sera donc aussi de faire le point sur les savoirs écouménaux qui méritent d’être cultivés dans nos écoles pour préparer ces étudiants à un monde dans lequel les techniques polyculturelles d’acquisition, de soin et d’entretien des ressources vivantes devraient revenir à l’avant plan des arts et de la culture. Pour ce faire, elles réuniront également les expérimentations pédagogiques déjà à l’œuvre sur le thème de l’agriculture.
Pour mettre en chantier ces rencontres et leur programme, nous proposons d’organiser une journée de réflexion avec quelques-uns des collectifs qui, en France, ont le mérite et le courage de charpenter des visions prospectives, voire d’authentiques programmes, pour accompagner le “transition” ou la révolution” qui s’annonce, et qui, tous, font de l’évolution de l’agriculture et de la relocalisation des paysages ruraux les pierres angulaires d’un futur possible. Nous avons invité plusieurs collectifs et organisations :
L’Atelier Paysan
Reprendre la Terre aux machines, manifeste pour une autonomie paysanne et alimentaire (2021), ce collectif qui forme depuis 15 ans les paysans à concevoir, adapter et réparer leurs propres machines (et leurs bâtiments), brosse un tableau extrêmement instructif de la livraison progressive du secteur à l’agro-industrie au cours des 5 ou 6 dernières décennies, dénonce la fuite en avant dans l’hypertechnologie, et milite au contraire pour l’installation urgente d’un million de nouveaux paysans en France dans les années qui viennent.
Les Paysages de l’Après Pétrole
Ce collectif s’emploie depuis plusieurs années à scénariser la transition écologique et énergétique des paysages productifs en France, à partir des principes de l’agroécologie.
Les Greniers d’Abondance
S’appuyant sur une critique du système agro-industriel actuel, cette association s’attache à définir les voies d’une résilience passant par des transformations sociales, politiques, économiques et techniques.
Réseau pour les alternatives forestières
En réponse aux évolutions préoccupantes de la forêt française et de sa gestion, ce réseau cherche à élargir la connaissance et la compréhension des enjeux. Il s’appuie sur le partage et la diversité des points de vue pour démultiplier les actions positives et coopératives vers une forêt vivante et habitée.
L’objet de cette journée est de croiser les analyses et les propositions de ces différents collectifs, et de les discuter avec un certain nombre d’autres auteurs spécialistes des évolutions de l’agriculture et des paysages ruraux.
- Matthieu Calame, agronome, directeur de la Fondation Charles Léopold Meyer pour le Progrès de l’Homme (Paris et Lausanne), auteur de Comprendre l’agroécologie : origines, principes et politiques (2018) et de Enraciner l’agriculture (2020).
- Pierre Janin, architecte,
- Sébastien Bonthoux, maître de conférences en écologie du paysage à l’École de la Nature et du Paysage de Blois, INSA Centre Val de Loire.
Contacts
Mathieu Delorme
Sébastien Marot
Frédérique Mocquet
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Photo : Geoffroy Mathieu - champ de blé à Gonesse, juin 2021
- La Politique Agricole Commune européenne (PAC) fêtera ses 60 ans le 30 juillet 2022. ↩
- Wes Jackson, Becoming Native to This Place, 1994. Et il ajoute : “Le secteur des matériaux, le secteur industriel, est récent. Il n’a derrière lui aucune discipline ancestrale à laquelle se fier. Les gratte-ciels, les autoroutes et les banlieues ont été rendus possibles par la découverte et la mobilisation du carbone fossile. Ils ne reposent sur aucune science organique (organising concept). Les sols et les forêts nous ont nourri et abrité, mais eux aussi déclinent, en dépit même du bonus que nous tirons des ressources fossiles”. ↩